Distance parcourue: 37 MN

La veille, l’équipage s’est séparé en deux … provisoirement. Colette est allée faire quelques courses et visiter Harlingen. Moi, je suis resté à bord pour m’immerger dans la Mer de Wadden, au figuré bien sûr. Cartographie, marées, courants, ports et mouillages sont les informations à pêcher pour assurer une navigation sans problèmes.

L’autre mission que j’avais à accomplir c’était de réaliser un diagnostic sur l’AIS qui refuse de marcher malgré son aller/retour à l’usine. Revenu et installé en juillet, il a un fonctionnement erratique et, aujourd’hui, pas de fonctionnement du tout. A la suite de cette séance de diagnostic, j’ai été pris d’un doute sur l’antenne dédié à l’AIS. Comme le prix d’une antenne n’est pas trop élevé et qu’une antenne VHF de trop peut toujours servir, nous avons décidé d’en acheter une pour remplacer l’actuelle. Mais hier, c’était dimanche.

Harlingen se réveille.

Le soleil se lève à peine sur Harlingen et la journée commence par un café et la consultation des prévisions météo. Je vous les détaillerai après mais, devinez quoi, elles sont comme d’habitude … Comme hier je suis resté consigné à bord (volontairement) et que le magasin d’accastillage (CIV Harlingen) n’ouvre qu’à 8h30, je commence par une rapide visite d’Harlingen en vélo, jolie ville typique des Pays-Bas. 8h32, j’entre dans le magasin, tous les vendeurs sont au café mais l’un deux accepte entre deux gorgées de me trouver l’antenne qui va bien. 8h37, coups de pédale pour retourner à bord. 8h45, le vélo est dans le coffre arrière.

Après cette petite digression, revenons sur la météo pour rester fidèle au plan de nos articles. Voici ce que nous donne la prévision : un vent qui donnera le tournis, d’abord Sud-Est puis Nord-Est pour finir Est commençant à 6 nœuds pour finir à 14 nœuds avec quelques rafales à 19 nœuds. Un élément essentiel aujourd’hui, c’est de prendre la prévision pour la nuit car ce soir, ce sera mouillage sur ancre. Donc cette nuit, après notre vent d’Est à 14 nœuds, ce sera du Sud-Est puis du Sud faiblissant à 8 nœuds. Une nuit tranquille en perspective.

Nous savons que cette Mer de Wadden et ses îles sont magnifiques. Il est possible d’y passer un mois sans se lasser. Mais nous avons déjà passé presque deux mois aux Pays-Bas et si nous nous arrêtons partout, l’Allemagne et le Danemark ne verront pas la proue de Strana. Dans la préparation d’hier, nous avons fixé les grandes lignes pour traverser la Mer de Wadden d’Ouest en Est :

  • une étape de 35 MN avec un mouillage à la clé au large d’Ameland.
  • Un saut de calmar du mouillage vers le port de Nes sur l’île d’Ameland pour visiter l’île.
  • Un saut de calmar plus allongé pour rejoindre un mouillage à l’extrémité Est d’Ameland car le chenal qui la longe découvre à marée basse et le choix de l’heure pour le passer ne permet pas de faire une longue étape.
  • Surtout qu’à cette extrémité, nous sortirons en Mer du Nord pour rejoindre l’île de Nordeney où là nous aurons quitté les Pays-Bas.
La partie délicate de l’étape du jour. Notre trace en jaune.

Quel programme ! Mais l’heure d’ouverture du pont approche et les équipages commencent à s’agiter sur les ponts. La première chose à faire pour nous et le retournement du bateau car pour l’instant la proue de Strana pointe vers le fond du bassin et pas vers la sortie. Nous avons assisté au retournement d’un vieux gréement qui était amarré à couple sur le quai d’en face où se trouvait Strana. Ça nous a donné quelques sueurs froides. Une fois en travers du bassin, il ne restait pas beaucoup de place pour manœuvrer. La coque de Strana a senti l’odeur du bois de près. Mono-safran, ce bateau traditionnel s’est repris à plusieurs fois pour effectuer le demi-tour. Avec ses bi-safrans, j’ai très vite compris que ça n’allait pas être simple pour Strana et par conséquence pour nous. Nous avons décidé de nous retourner sur une amarre avec une personne à terre et une sur le bateau, tranquillement. Ça tombe bien, nous sommes en avance. Le pont n’ouvre qu’à 9h30. Et hop ! Strana pointe en direction de la sortie, le pont s’ouvre, les amarres sont larguées. A nous la Mer de Wadden.

Strana quitte Harlingen.

La sortie était tranquille car pas mal de bateaux étaient déjà partis avec la marée favorable pour aller à Terschelling ou Vlieland. Nous nous visons de passer le « gat » (le trou entre les îles) qui les sépare à marée basse pour ne pas subir les effets du courant. Comme le vent est faible, les chenaux étroits et peu profonds, l’équipage prudent dans ces eaux à explorer, les tauds des voiles sont restés à poste. La navigation se fera au moteur.

Balises et voiles en tout genre.

Mes yeux de lynx détectent sur une digue que nous longeons des formes qui pourraient bien être des phoques. La réalité augmentée des jumelles à fort grossissement montre qu’ils ont la dent dure : ce sont des rochers. Le lynx, aurait-il des problèmes de vision ? La réponse est oui, l’acuité visuelle d’un lynx est moins bonne qu’un être humain. Il voit clairement à 5 mètres ce qu’un humain normal pourrait voir à 30 mètres. De plus, il ne voit pas le rouge mais ce n’est pas grave, les phoques ne sont pas rouges.

L’expression « un œil de lynx (lunx en grec) » est une déformation de l’expression « l’œil de Lyncée (Lunkeos en grec)» apparue au Moyen-âge. Elle renvoie à un personnage de la mythologie grecque, membre de l’expédition des Argonautes. Chaque membre d’équipage avait un don. Le pilote du navire Argo, Lyncée, avait celui de voir ce qui se passait dans le ciel et en enfer, à travers les nuages et les rochers, ainsi qu’au fond des mers. Chez les Strananautes, le don du pilote a été transmis aux jumelles.

Un peu triste de ne pas avoir transformé les rocs en phoques, nous continuons notre navigation vers le West Meep qui sépare Vlieland de Terschelling. La marée basse est quelque part entre 12h40 et 12h50, il est 12h16. Nous sommes presque à l’heure.

Au premier plan, l’îlot de Richel. Au fond, l’extrémité de Vlieland. Mais où est l’horizon ?

Les réjouissances commencent maintenant. Le chenal se resserre en largeur et en profondeur. Nous nous engageons dans le chenal tortueux le long de Terschelling à marée montante, fond de 1,8m en suivant les balises ou les perches. Nous allons prudemment à 3 nœuds car le risque de s’échouer existe.

L’activité favorite des bateaux traditionnels de Wadden: l’échouage sur les bancs de sable.
Activité partagée par les phoques de Wadden.

Nous sommes un petit peu en avance sur la feuille de route et les bancs de sable sont très mobiles. Nous voyons une vedette à moteur devant nous arrêtée. Echouage ou mouillage ? Nous pensons qu’elle est au mouillage. Erreur, à son niveau, un coup de frein doux associé à un bruit sourd nous indique que nous venons de faire un sillon dans un banc de sable.

Pouf ! Ensablé ! Pourtant, on ne voit que de l’eau.

Nous voici côte à côte dans le chenal en train d’attendre que la marée qui est montante nous libère. Il est 15 heures.  Strana commence à bouger un peu mais se met un peu dans la mauvaise direction à cause du courant dans le chenal. Nous jetons l’ancre pour qu’elle ne se mette pas dans un autre banc de sable. Lorsque la marée ajoute un peu d’eau dans la piscine, nous remontons l’ancre et repartons pour nous arrêter un demi-mile plus loin, toujours à côté de la vedette qui, elle, s’était libérée un peu plus tôt que nous du piège précédent. Même opération de mouillage et même pause infusion pour patienter.

Un oiseau sur un arbre ? Non, un oiseau sur un type de balise qui marque certains chenaux.

Nous constant un gros écart entre les  bouées de chenal que nous suivons en visuel et leur position théorique sur la cartographie électronique Navionics. Mais rien de surprenant. Les guides nautiques préviennent clairement que ce sont les balises sur l’eau qui sont la référence. Elles sont déplacées régulièrement en fonction des mouvements des bancs de sable. Toutefois, nous constatons, mais sans tirer de conclusion, que la cartographie oeSENC (OpenCpn) est plus juste que Navionics sur la position des balises.

Sur l’ensemble de l’étape il y a deux passages délicats, un de 3 miles et un autre de 1 miles. Ils correspondent au point de jonction des courants qui traversent les « gat ». Proche d’un passage, le courant crée des chenaux, y transporte du sable. La force du courant faiblit en passant sous l’île et en s’éloignant du passage. Le phénomène se produisant de chaque côté de l’île, le sable s’entasse au point de jonction.

Le terrain de jeu des vieux fonds plats.

Après le premier passage délicat, nous croisons une flottille élégante de vieux gréements sous voiles. Sous le soleil, c’est un spectacle dont on ne se lasse pas. Notre première navigation dans les eaux de la Mer de Wadden s’est plutôt bien passée.

Le soleil baisse sur l’horizon. La barreuse reste concentrée, plus que quelques miles avant le mouillage.

Nous avons apprécié le tirant d’eau de 1,10 mètre de Strana dans cet exercice. Il est un peu tard pour pousser jusqu’au port de Nes sur l’île. Nous mouillons sous l’île d’Ameland, à l’Ouest, dans des fonds de 5m à l’écart du chenal après avoir fait un tour soigneux de la zone pour ne pas échouer à marée basse et se réveiller la nuit avec 30° de gîte. Il est 19h30. Avec 15 nœuds de vent d’Est et 30 mètres de chaînes plus son amortisseur en câblot polyamide, la nuit devrait être tranquille. Demain, nous irons à Nes pour visiter l’île d’Ameland.

Quand vient le soir …