Distance parcourue: 25 MN
Nous avons adoré ce mouillage mais il s’agit maintenant d’en sortir. Nous sommes un peu comme dans une nasse. Principe de fonctionnement d’une nasse : L’animal que l’on veut capturer est attiré par un appât placé à l’intérieur de la nasse. Pour entrer, il trouve facilement l’ouverture car il y est guidé par l’entonnoir mais, une fois à l’intérieur, il lui est très difficile de retrouver la sortie.
L’animal, c’est Strana. L’appât, c’était la promesse d’un beau mouillage, bien placé sur notre route. L’entonnoir, le chenal qui nous a menés à ce mouillage. Maintenant, il s’agit d’en sortir. Nous sommes un petit peu à l’écart du chenal qu’il faudra rejoindre pour tenter une sortie. Un phoque vient musarder pas très loin de nous. Il cherche probablement un endroit pour s’étendre sur le sable pour une petite sieste digestive. Pour nous c’est encore un peu tôt pour aller musarder dans le chenal. Il est 8 heures, la basse mer (BM) est aux environs de 9h10. Nous devons attendre pour que l’eau monte un peu sinon nous irons faire la sieste à côté du phoque, planté sur un banc de sable.
A BM + 2h, nous avons 80 cm d’eau en plus. … L’ancre est bien enfouie dans la vase et difficile à décrocher. Comme nous étions ancrés en eau libre, j’estime la profondeur suffisante pour tenter une sortie de la nasse … Ambitieux le skipper, un banc de sable qui était invisible à marée basse nous barre le passage et les 80 cm ne suffisent pas à le survoler. Nous butons dedans à faible vitesse. Je tente de me dégager en marche arrière avec des accélérations assez soutenues mais Strana tourne sur lui-même à cause du courant. J’ai tout de suite l’impression que ce n’est pas très bon pour la ligne de propulsion ce genre de manœuvre qui lève beaucoup de sédiments plutôt abrasifs. Heureusement, nous finissons par retourner assez vite en eau libre. Nous repartons en changeant de cap vers une marque de chenal plus éloignée en avance lente en espérant le contourner. Ça a l’air de passer. Comme nous sommes à l’abri du vent et de la mer, nous avons envisagé un instant de hisser la grand-voile mais l’idée c’est très vite évaporée sur le brûlot des pièges de sables potentiels.
La cartographie n’est d’aucune aide ; les sondes sont fausses. Nous nous rabattons sur l’aspect de la surface de l’eau et sa couleur. Il faut garder en tête qu’il n’y a pour l’instant pas de vagues. A l’heure où nous partons, il semble que plus la surface est lisse, moins il y a de profondeur. Le courant est freiné par le banc de sable. La couleur de l’eau est également plus sable. Sur les zones plus profondes, la mer est également chargée en sédiments mais elle est plus bleue. Sa surface est ridée par des vaguelettes. Tout à l’heure, je n’avais pas suffisamment observé le plan d’eau. Leçon apprise (et retenue ? Nous verrons…).
Nous avançons à 0,4 nds sur le fond. Avance un peu trop lente à notre goût. Je mets un peu de gaz sinon on va y passer la journée. Nous essayons de ressortir par là où nous sommes entrés. Au sondeur, le fond remontent. J’entends frotter un peu. Nous arrivons à proximité d’un voilier au mouillage au milieu du chenal. Nous essayons de déterminer de quel côté se trouve sa chaîne d’ancre pour ne pas l’attraper au passage, et de vérifier si sur le côté opposé il n’y aurait pas un autre piège, genre banc de sable par exemple. Nous nous rapprochons de sa position. Il est de la région : son port d’attache inscrit sur sa poupe est Hooksiel qui se situe à environ 12 MN dans l’embouchure de la Jade. Nous ne voyons toujours pas sa chaîne et hésitons toujours entre passer sur son bâbord ou son tribord. Voici qu’il met son moteur en route et regarde sur son tribord, certainement là où se trouve sa chaîne et, au bout, son ancre. Nous passerons donc sur son bâbord qui était notre côté préféré ; ça tombe bien.
En le dépassant, nous nous concentrons maintenant sur la suite du pilotage. Nous visons la marque de chenal suivante. Au loin, la mer semble agitée comparée à notre environnement immédiat mais la question de hisser la grand-voile avant d’y arriver ne se pose pas. Ça sera peut-être plus rock’n’roll dehors mais le risque immédiat reste les bancs de sable. D’ailleurs le voilier que nous venons de dépasser a hissé la sienne peu après notre passage. Mais pas pour longtemps; il vient de s’échouer et l’affale car la situation pourrait s’aggraver en la gardant haute.
Nous finissons par sortir de la passe Blaue Balje entre Wangerooge et Minseneer Ooge à 12h30, sous moteur que nous conserverons le temps de passer le chenal d’accès à la Jade. Quinze minutes plus tard, dans une zone plus calme du point de vue du trafic, nous hissons les voiles pour faire route avec juste le bruit des vagues sur la coque en direction de l’île Helgoland.
Au départ, nous choisissons de serrer le vent plus qu’il ne faut : nous faisons cap au 24° au lieu du 355° pour anticiper une bascule de vent défavorable mais il est plutôt constant avec quelques petites oscillations. Après une heure de navigation, nous abattons pour faire route directe vers Helgoland à une allure entre bon plein et travers selon les caprices des oscillations. Un coup d’œil sur les instruments de bord: vitesse fond 5 nds, vitesse surface 6,2 nds, vent réel 12 nds, angle de vent réel 65°. Voici une information à noter dans les relevés pour tenter de fabriquer les polaires de Strana (objectif à faible priorité et à long terme). A ce train là, nous devrions arriver sur notre île vers 18 heures.
La météo est pour l’instant idéale et conforme aux prévisions. Nous avons une houle qui nous arrive par le travers de 1m de temps en temps mais plus fréquemment inférieure à 0,7m. C’est assez confortable. Le ciel est bleu et sans nuages côté mer. Côté côte, quelques altocumulus et cumulus sont visibles de-ci de-là mais pas de risque d’orage. La température est douce et notre tenue vestimentaire est estivale.
Très concentrés pour quitter le mouillage, nous voici à nouveau dans le même état pour traverser les routes des navires de commerce. Ces routes vont vers la Jade, petit fleuve qui donne accès à Wilhelmshaven, port militaire et de commerce ; la Weser qui donne accès à Bremerhaven et Bremen, deux gros ports commerciaux ; l’Elbe qui donne accès à Hambourg (port actif également) et au canal de Kiel, une route empruntée par le trafic commercial pour passer de la Mer du Nord à la Mer Baltique et inversement. Je vois à proximité 6 cargos en mouvement ainsi que 4 un peu plus loin mais il est difficile de distinguer s’ils sont en mouvement ou non. Il y en a une dizaine à l’ancre, peut-être en attente de pilote. Nous avons ralenti le bateau et changé de cap à l’approche d’un navire dont le gisement ne variait pas, indicateur d’un risque de collision.
Comme il est difficile à l’œil de déterminer la vitesse et le cap d’un autre bateau lorsqu’il est éloigné, nous avons mis le radar en route pour essayer de relier ce que nous voyons sur le plan d’eau avec ce que nous voyons sur l’écran radar. Le radar se charge de calculer la vitesse et le cap de nos cibles et ceci est bien utile dans cette zone à fort trafic. Notre radar remplace avantageusement notre AIS défaillant. De plus il est exhaustif ce qui n’est pas le cas de l’AIS qui ne fait qu’afficher les bateaux qui ont bien voulu émettre un signal. Là, il nous signale que le prochain va passer juste devant nous mais il ne nous dit pas que nous allons sentir ses gaz d’échappement. La visibilité est exceptionnelle. Nous voyons déjà Helgoland au loin qui devient donc notre amer pour cette navigation.
A 10 MN de notre destination, la mer a décidé qu’elle avait été trop gentille. Elle se lève sans que le vent forcisse. Résultat, nous n’allons pas très vite dans une mer bien formée et notre équilibre est mis à l’épreuve. Les derniers miles deviennent sportifs quand le vent décide d’être de la partie . Nous prenons un ris dans la grand-voile. Le vent forcit encore ; nous sommes à la limite du deuxième ris, 22 nœuds de vent réel, avec la mer qui va avec. L’affalage de la grand-voile devant Helgoland nécessite quelques efforts pour rester en équilibre. Nos harnais sont attachés car un coup de bôme pourrait nous envoyer facilement par-dessus bord.
Le reste, amarres et pare-battages, n’est pas prêt mais nous attendrons d’être dans le port pour les mettre en place. Ça laissera le temps d’observer et de choisir notre place. A l’abri du port, le calme revient. Quelques ronds dans l’eau plus loin, le temps de préparer le nécessaire, nous nous amarrons à couple, en troisième ligne. Il y a un peu de monde dans le port mais il est loin d’être plein. Ce sera une escale de deux nuits pour visiter et pour récupérer de cette navigation assez intense finalement.