25 août : De Hon (Ameland) – Nordeney (DE)

Distance parcourue : 58 MN

Les prévisions météo du jour semblent parfaites pour notre longue étape : un vent de Sud-Est 16 nœuds pour commencer virant Est-Sud-Est 17 nœuds puis Est 14 nœuds. La route directe tracée sur OpenCpn calcule 50 MN avec un cap moyen au 65° pour commencer, puis 90° pour la fin du parcours. Avec le vent annoncé, la première partie du parcours devrait être au près mais sans virement de bord. La deuxième partie risque d’être plus animée côté virement de bord. Mais en navigation côtière, les effets du relief (ou de l’absence de relief) et les courants peuvent vite modifier la direction et la force du vent. Les vagues devraient venir de l’Est puis du Nord-Est sans dépasser 0,4m. Pour la Mer du Nord, on peut qualifier cela de mer plate. Le ciel ? Comme d’habitude, bleu azur. Dans ces conditions, la navigation au près n’est pas inconfortable, alors allons-y !  De plus, nous avons un rendez-vous ce soir, avec l’équipage de Free Vikings, Francine et Philippe, qui eux reviennent du Danemark via le canal de Kiel.

Le soleil se lève à la pointe de Schiermonnikoog.

La navigation en Mer de Wadden est facile si on prend soin de bien planifier son passage et de refaire deux fois ses calculs. Nous voulons sortir de la Mer de Wadden par le Pinkegat, un passage entre les îles qui  n’est pas balisé. C’est un peu une aventure mais la météo est belle pour la tenter. Il faut bien un peu de piment dans la vie. Idéalement le passage devra se faire entre PM (pleine mer)-2h et PM+2h. Le lieu de référence pour le calcul de marée que nous avons choisi est Schiermonnikoog. C’est une île à l’Est d’Ameland qui est la plus proche du Pinkegat.

Pour mettre toutes les chances de notre côté, quitte à avoir un peu de courant de face, nous choisissons de partir à PM – 2h. Si d’aventure nous échouons dans le Pinkegat sur un banc de sable qui se serait mis en travers de notre route, nous pourrons toujours faire machine arrière pour prendre le chenal balisé une fois que la marée montante nous aura dégagé. De notre mouillage, il y a environ 3,5 MN à parcourir dans des fonds incertains avant d’être en Mer du Nord, c’est-à-dire moins d’une heure de navigation. Il y a très peu de chance que nous soyons encore dans le gat après l’heure de PM donc le risque de rester échoué longtemps est faible. Passer par le chenal balisé nous ferait perdre pas mal de temps car la distance à parcourir est plus longue, 12 MN au lieu de 5 MN par le Pinkegat.

Le Pinkegat. Les marques vertes, le détour à faire si ça ne passe pas.

A 8h10, nous levons l’ancre. La pleine mer aujourd’hui est à 10h20. L’heure de départ est respectée : PM-2h. Maintenant, il n’y a pas de chenal tortueux en vue mais il n’y a pas de balises non plus. La navigation se fait en vérifiant notre position sur la carte marine et au sondeur pour la confirmer. On n’oublie pas les jumelles et l’observation qui peuvent donner quelques indications utiles ainsi que le plaisir de regarder des phoques ou des oiseaux, surtout qu’aujourd’hui, la visibilité est excellente. Pour passer le Pinkegat, nous préférons garder les voiles affalées et c’est donc au moteur que nous nous engageons dedans. En cas d’échouage, nous n’aurons pas à nous soucier des voiles. Moi, l’œil rivé au sondeur ; Colette, l’œil rivé à la cartographie ; tous les deux, la hauteur d’eau calculée en tête, nous essayons d’estimer si la sonde théorique est proche de celle mesurée. Si oui, nous sommes un peu plus confiant ; si non, mais où sommes-nous ? Voilà l’épice qui vous maintient en éveil.

Le Pinkegat vue d’un satellite à marée basse probablement sinon nous serions restés coincés.

9h15: si nous sommes encore dans des faibles profondeurs, entre 3,3m et 3,80m (la mesure varie avec la hauteur des vagues), nous avons rejoint la Mer du Nord. Le vent souffle à 17 nœuds comme prévu et nous l’avons de travers. Nous hissons la GV avec 1 ris et le foc et le moteur se tait. Nous nous dirigeons vers la ligne de sonde des 10 mètres qui est la profondeur minimum souhaitable pour naviguer avec une marge de sécurité en Mer du Nord.

Au nord de Schiermonnikoog, la mer est un peu plus agitée que la prévision. C’est peut-être dû à l’effet du courant contre le vent. Nous essayons de  serrer un peu plus le vent mais la vitesse réduit et nous subissons plus l’état de la mer. En fait, nous sommes justes à la limite de la force de vent à laquelle nous passons de grand-voile haute à grand-voile arisée au premier ris. Dans ces conditions avec notre ris, nous manquons un peu de puissance en serrant le vent. Nous en regagnons en nous en écartant. A 70° du vent réel, la route suivie n’est pas mauvaise alors nous choisissons la puissance plutôt que le cap tout en conservant notre grand-voile arisée. Nous pensons que le vent va monter.

11h04 : Mauvaise pensée, le vent mollit sérieusement à 12 nds. Parfois un train de vagues un peu plus hautes freine un peu le bateau. Nous approchons de l’embouchure de l’Ems, avec la marée descendante, on sent les effets du courant. Le vent qui faiblit encore à 10 nœuds a changé un peu et notre course nous mène droit sur un champ d’éoliennes. Nous entendons un mayday à la VHF qui nous rappelle que le milieu peut être hostile. Un virement de bord indispensable nous fait pointer vers la marque d’eaux saines Riffgat qui marque le début du chenal pour entrer vers l’Ems. Ce bord est perpendiculaire à la route directe vers notre destination, c’est-à-dire pas très favorable. C’est le moment de changer de pavillon de courtoisie car nous avons traversé la frontière. Le pavillon allemand voit enfin la lumière du jour. Nous allons continuer un peu avant d’envoyer un autre virement pour reprendre la route en évitant le champ d’éolienne.

Le vent est maintenant plein Est comme prévu mais un peu plus fort que prévu. Nous avons 16 nœuds établis. Nous avions enlevé le ris lorsqu’il avait faiblit. Nous sommes donc toujours à la limite entre avec ou sans ris. Ca va mais, sans ris, c’est plus sportif.

La bataille va durer jusqu’à 17h30. Le vent et la mer en sortent vainqueurs par KO technique. La journée a été intense et la fatigue se fait sentir. Après le pilotage dans le Pinkegat, on pensait avoir une navigation au près relativement tranquille, et bien non. Nous n’avons pas eu la bascule de vent qui nous aurait bien aidé. Les manœuvres, la mer agitée et l’heure qui tourne ont eu raison de notre volonté. Comme nous avons vu que ça allait durer un peu nous avons mis en route le moteur  pour éviter d’arriver de nuit à Nordeney. Nous avons affalé le foc et conservé la grand-voile car la mer était agitée et nous pensions que ce serait délicat de l’affaler avec les mouvements de la bôme. Mais, finalement, nous l’avons affalé contraint et forcé car le chariot qui circule sur le rail d’écoute de la grand-voile s’est séparé en deux. Séparation d’un couple : Il est composé de deux petits chariots reliés par un brelage en dyneema et ce brelage a lâché. Rien de grave mais le réglage de la grand-voile est devenu inopérant ; le chariot a fait le grand écart. C’était moins dur que ce que nous pensions même si le rangement de la voile laisse un peu à désirer.

Nordeney nous voici. La ville porte le même nom que l’île.

Il est 19h12. Déjà presque deux heures au moteur. Je me divertis un peu en regardant sur mon téléphone la température de la cale moteur où nous avons installé un petit capteur température fonctionnant avec Bluetooth. Il indique 42°C. C’est correct. Le mérite de ces deux heures de fonctionnement c’est que les batteries sont bien chargées et que nous faisons route directe vers notre destination. Je baille et Colette m’accompagne. Nous en sommes à 11h de navigation et ça se fait sentir.

J’ai appelé en route la capitainerie de Nordeney. Il y a de la place mais, comme d’habitude, c’est entre des poteaux. Dans les places adaptées à notre longueur, l’espace entre les poteaux est trop juste. Nous devons aller sur des places prévues pour des bateaux plus gros. Le problème, c’est que les poteaux sont plus loin, plus haut et que nos voisins ont un yacht à moteur rutilant sur lequel il serait mal venu de faire une rayure. Le propriétaire l’a senti et a sauté sur son pont pour nous aider. Nous avions tapissé notre tribord avec la collection complète de pare-battages formant ainsi un pare-choc pour atterrir en douceur sur sa coque au cas où la manœuvre ne se passerait pas comme prévue. A 20h30, nous sommes à peu près amarrés. Notre voisin, charmant, nous propose d’aller passer l’amarre arrière qui reste à passer autour d’un poteau qui est un peu hors de portée en utilisant son annexe qui est à flot. J’allais faire de même mais comme il nous le propose.

Strana au repos.

Nous sommes cuit,« cooked », « gekocht », mais nous avons quand même le courage d’aller prendre un verre avec Francine et Philippe et leurs amis à bord de leur bateau. Soirée agréable dans le cockpit. Nous ne prenons pas congé trop tard car ils repartent tôt demain matin pour rejoindre les Pays-Bas. Nous, nous avons besoin de nous reposer.