Distance parcourue : 127 MN

Nous devons passer le Pas-de-Calais ou Strait of Dover pour les britanniques  afin de passer de la Manche à la Mer du Nord. C’est une zone de fort trafic  dans les deux sens selon un axe Sud-Ouest / Nord-Est mais également dans le sens Nord-Ouest / Sud-Est (traversée des ferrys reliant la France au Royaume-Uni). Zone de fort courant aussi, ce qui implique de passer le détroit avec le courant favorable tout en évitant d’avoir un vent fort contre le courant qui lève alors une mer difficile, spécialement dans les zones de faibles profondeurs. Voilà ce qui nous attend.

Le Pas-de-Calais

Nous surveillons les prévisions météo depuis quelques jours déjà pour choisir le bon moment pour partir. Avoir une bonne météo ne suffit pas. Il faut qu’elle coïncide avec la bonne heure pour quitter la baie de Somme, la bonne heure pour passer le détroit avec le courant, la bonne heure pour arriver à destination.

C’est une équation qui n’est pas toujours facile de résoudre. Il faut parfois faire des concessions car tous les paramètres ne sont pas forcément réunis. Depuis cette année, nous essayons de préparer nos plans de route toujours de la même manière. C’est un sujet que nous aborderons prochainement dans « le coin du Pilote ».  Le plan pour ce parcours est prêt.

Nous avons pris la prévision météo ce matin qui est restée la même qu’hier, donc de bonne chance qu’elle soit fiable : un anticyclone solide sur les Açores avec une dorsale sur les îles Britanniques va nous donner un vent variable en direction 2 à 4 Beaufort, s’orientant Nord à Nord-Est 3 à 4 Beaufort l’après-midi dans la Manche, 4 à 5 Beaufort dans la Mer du Nord. La mer sera belle à peu agitée avec peu de houle. Ciel clair et bonne visibilité. Dans la nuit, le vent devrait virer Est à Nord-Est puis Est à Sud-Est en fin de nuit, 3 à 5 Beaufort.

En dehors de la direction du vent qui ne sera pas très favorable, Les prévisions sont bonnes pour partir. Le trajet sera assez long car nous serons au près (le vent de face). Si la distance en ligne presque droite est de 90 MN, elle sera notablement allongée car nous allons louvoyer pour remonter le vent.

Un phoque nous salue au départ. Il pêche à marée haute et dort à marée basse.

Nous quittons Saint Valery sur Somme à midi, soit trente minutes avant la pleine mer de la baie de Somme. Au large de la baie, le vent passe rapidement de variable à Nord Nord-Est, mais sa force reste modérée à 3 Beaufort (8-10  nœuds). C’est un près agréable avec une mer plate. Nous marchons bien à plus de 6 nds mais nous avons un courant défavorable de 3 nds pour démarrer. Faire en une étape ce trajet ne permet pas de bénéficier en permanence d’un courant favorable. Nous avons choisi notre heure de départ pour ne pas nous échouer en baie de Somme et pour attraper le courant favorable à partir de Boulogne sur Mer qui nous propulsera rapidement au-delà du Pas-de-Calais où nous ne voulons pas nous attarder. Le prix à payer est d’avoir au départ ce courant qui nous freine pas mal.

La grand-voile au travail

J’ai des doutes sur le temps qu’il nous faudra pour atteindre Boulogne. Nous devrions y être vers 22h46 selon notre plan de route qui prévoit une progression à 4 nds sur cette partie. Je commence à penser que nous y serons un peu plus tôt. 22h51, nous passons devant Boulogne … Quelle précision, un peu d’intuition, beaucoup de chance.  Le vent passe à 15 nds et nous prenons un ris dans la grand-voile à titre préventif. Nous voici au seuil du cap Gris-Nez, nous prenons le deuxième ris, toujours à titre préventif. Nous passons devant le cap Gris-Nez puis le cap Blanc-Nez, sur le tapis roulant du courant qui nous propulse à 8-9 nds dans ce détroit, toujours au près, avec quelques pointes à 20 nds et au-delà. La prévention, ça paye. Le plus grand danger dans cette zone, c’est de se prendre dans un des filets tendus près de la côte que signale un pilot book dans la bande des 1 MN autour du cap Gris-Nez. En dehors de ça, nous avions parié sur un trafic réduit la nuit et c’est plutôt gagné. Peu de monde sur l’eau. Avec l’aide du radar, les cibles à risques sont rapidement identifiées et suivies.

Le passage devant Calais nous cause de petites secousses. Comme nous sommes au près, nous louvoyons. Le vent est modéré et nous avons largué les ris dans la grand-voile. Le louvoyage nous amène à proximité des Riddens de Calais, un banc de sable en face de Calais dont il faut se méfier. Il y a tout de même majoritairement 10 à 18 mètres de fond. Comme la météo est correcte, le courant favorable, nous continuons un peu sur la bordure des Riddens de Calais pour éviter un virement de bord. Mais elles nous réservent quelques surprises. Subitement, ça devient un chaudron agité alors que quelques instants plus tôt la mer était plate, les vagues sont pointues et désordonnées. Strana remue dans tous les sens. Gérable mais un peu flippant tout de même.

Dunkerque vue de la mer la nuit: fumées et torchères

Le nombre de bancs de sable augmente devant Dunkerque. Le chemin le plus court et le plus sécurisant est de suivre le chenal d’accès à Dunkerque qui passe devant, d’Ouest en Est. Avec le vent de face et de nuit, délicat de louvoyer dans le chenal. Tirer un bord au large implique un grand détour, le passage dans des bancs de sable et des passes étroites que nous ne connaissons pas. Le passage devant Dunkerque se fera donc au moteur, dans le chenal.

La fatigue de fait sentir. La moitié de l’équipage tombe dans les bras de Morphée. L’autre moitié ferme un œil et garde l’autre ouvert. Au petit matin, ce sera l’inverse.

Il est 3h50 du matin. L’aube pointe au nord-est.

L’équipage est maintenant au complet sur le pont.  Nous avons passé la frontière avec la Belgique. Pour la première fois sur Strana, nous préparons un pavillon de courtoisie. A l’entrée dans les eaux territoriales d’un pays, hisser le pavillon national du pays dans lequel on entre est un signe de respect pour le pays qui nous accueille. C’est l’usage de l’envoyer sous les barres de flèche du mât à tribord mais il peut être envoyé également sous le pavillon d’immatriculation du navire. Le drapeau belge flotte dans la mâture.

Le chenal d’entrée de Nieuwpoort

A 9 heures du matin, le 15 juin, Strana est amarré à Nieuwpoort. Nous avons parcouru les 129 MN enregistrés au loch à la vitesse moyenne 6 nœuds. Sur la route théorique longue de 90 MN, notre vitesse moyenne a été de 4,3 nds. C’est la remise sur vitesse offerte par le louvoyage et le courant.