Distance parcourue: 38 MN

Nous avons attaqué la saison 2022, à froid, par deux longues étapes de plus de 100 MN chacune, avec nuit en mer. Aujourd’hui, nous voici partis pour une petite journée de navigation. Nous dormirons sur nos deux oreilles la nuit prochaine.

Comme il s’agit d’une navigation à la journée, que les journées sont longues à cette saison, nous ne sommes pas trop motivés pour un départ à l’aube. Le prix à payer sera un courant contraire un peu plus fort et un peu plus longtemps. Nous achetons.

J’écris sur le journal de bord la prévision météo du jour : vent Sud tournant Ouest par le Sud, 10 à 15 nds. Ciel nuageux. Risque d’averses localement orageuses à partir de 14 heures. Houle 0,1 mètre venant du Nord puis Ouest.

Je confirme en regardant dehors l’état du ciel. Bien gris à souhait, avec quelques touches de noir à l’horizon mais côté terre. Ce n’est pas très engageant mais les conditions de vent et de mer sont idéales pour une navigation en Mer du Nord. Alors, allons-y. Nous vous invitons à vivre l’étape en images avec nous.

Pour épicer un peu cette étape, voici ce que vous n’avez pas vu sur les images. Nous avons eu deux petites aventures qui vous inquiètent quand vous étiez serein et qui vous réchauffent si vous aviez un peu frais.

Zeebrugge est un port de commerce très actif qui se traduit par un trafic du même qualificatif. Nous essayons de traverser les chenaux d’accès le plus rapidement possible et le plus perpendiculairement possible. A la voile, rapide, c’est très relatif. Et perpendiculaire, c’est si le vent est avec nous. Avec le courant contre nous, avec la force actuelle du vent au portant, et en plus une rotation dans la mauvaise direction, nous progressons à 4,5 nds en dessinant une jolie courbe pas tout à fait perpendiculaire au chenal. Mais, fort heureusement, nous approchons de la fin de la traversée du chenal. Un petit cargo sort alors du port de Zeebrugge. Il prend le chenal. Confiant sur le fait que nous sommes quasiment sortis de sa route, nous gardons notre cap mais, par prudence, je mets le moteur en route.

Une route de collision entre deux navires s’évalue en prenant un relèvement avec un compas à main, à quelques minutes d’intervalle. Si le relèvement ne change pas, alors il faudra faire quelque chose, sinon c’est l’embrassade assurée, et celui qui nous vient dessus est un peu du genre armoire à glace.  J’accélère et je change de cap pour aller à la côte. Vu sa taille, il ne devrait pas nous accompagner.

Erreur de ma part, l’armoire à glace devient de plus en plus imposante. Il a effectué un changement de cap qui le met à nouveau en route de collision avec nous. J’accélère encore : le moteur tourne à plein régime, Strana file à 10 nœuds. Je maintiens le moteur à fond. Les secondes qui s’écoulent sont longues avant de conclure qu’il a décidé de ne plus nous suivre. Je n’imaginais pas qu’un cargo de cette taille allait prendre ce cap si proche de la côte, en sortant du port de Zeebrugge.

L’émotion nous a fait monter la température ainsi que celle du moteur. Notre sérénité s’est envolée quelques instants. Heureusement, tout devrait rentrer dans l’ordre maintenant que le danger s’est éloigné.  C’est le moment que choisi la ventilation de la cale moteur pour exhaler un parfum bien reconnaissable qui vient effleurer nos narines: brise de gas-oil.

Effondrement de la sérénité ou remontée en flèche de l’inquiétude, comme vous voulez. Le résultat est le même, je stoppe le moteur, je plonge dans la cale moteur en laissant Colette à la barre. J’ouvre la trappe de la cale moteur et je vois, dessous le moteur, une piscine de gas-oil dans la sentine réservée à la récupération des hydrocarbures et autres déchets qui pourraient émanés du moteur. Elle a bien fait son travail. Je suis bien réchauffé par l’atmosphère de la cale moteur, et la tension de l’instant. Je prie pour ne pas l’être encore plus si par malheur le gas-oil venait à être en contact avec une surface brûlante. Il pourrait se vaporiser et prendre feu. Le carburant, c’est mieux lorsqu’il se trouve dans la chambre de compression plutôt que dans une cale moteur. Mais d’où vient-il ?

La piscine (sentine) en 2015. Le moteur a été enlevé pour poser le lest.

Une feuille de papier absorbant en main, je passe en revue tout les endroits qui pourraient laisser échapper du gas-oil. Ceux que j’ai monté moi-même (on n’est pas à l’abri d’une erreur) ainsi que ceux qui font partie du moteur (desserrement dû aux vibrations ?). Rien, pas une trace, ni sur mes doigts, ni sur mon papier. Je refais un deuxième passage pour être sûr. Vous connaissiez le mystère de la chambre jaune, voici le mystère du fond de cale jaune.

Trois points positifs : elle est profonde donc le carburant est loin du moteur, la mer n’est pas formée donc il ne se ballade pas, le fond de la cale est froid. Ca me rassure, un peu, mais dans un coin de ma tête, ça va me hanter pour le reste de l’étape, et particulièrement quand il faudra remettre le moteur en route.  D’où ça va gicler ?

Nous voilà quelques miles plus loin, à proximité de la destination ; chance ou malchance, le mystère de la source de carburant va nous quitter grâce ou à cause d’un nouvel incident.  Le pilote automatique sonne l’alarme : correction de plus de 25° ! C’est-à-dire qu’il met la barre à fond pour tenter de corriger sa route. Nous sommes à ce moment au moteur et le pilote suit un cap que nous lui avons donné. Je regarde l’écran de l’afficheur pour savoir comment arrêter l’alarme parce qu’elle est un peu crispante. Je lève la tête et je vois que nous nous dirigeons vers la côte.  Ce n’était pas tout à fait le cap demandé. Je le mets en stand-by pour reprendre la barre, remettre le train sur les rails puis je le remets en service. Il nous fait un magnifique virage à tribord, direction la côte. Elle est jolie à cet endroit, mais tout de même.

Cette fois-ci, je le mets en arrêt pour une durée indéterminée, motif : surmenage. Il reste un problème de taille : je m’aperçois que la course de la barre est limitée. Elle n’est pas opérationnelle à 100% donc les manœuvres au port seront compromises. Diagnostic immédiat dans ma tête: la connexion du moteur du pilote à l‘axe de barre a glissé. Je plonge à nouveau, mais cette fois-ci dans le local technique sous le cockpit, armé des clés qui vont me permettre de déconnecter le moteur du pilote et le capteur d’angle de barre du système de barre. La barre est à nouveau opérationnelle mais nous terminerons sans pilote. Sérénité et fraîcheur retrouvées pour les deux membres d’équipage valides. Le troisième  est en arrêt maladie.

La partie commerciale du port de Breskens