Je vais vous conter une histoire de pompe à eau de mer qui m’a beaucoup pompé d’énergie. Il était une fois un navigateur/constructeur qui avait pris la décision, un jour, de choisir un moteur industriel comme moteur auxiliaire de son voilier. Il aimait l’aventure à terre comme en mer, mais avec un risque calculé. Parfois, il y a des petites erreurs de calcul …
Ce moteur est à refroidissement à huile, Il équipe des compresseurs industriels, engins de levage, tracteurs, et un de ses ancêtres a été marinisé par un fabricant d’équipements de bateaux. Il est arrivé monté avec la coque. Il ne restait plus que le système de refroidissement et l’échappement à mettre en place, c’est à dire :
- La pompe à eau de mer pour piquer de l’eau dans le puits sans fond qu’est l’océan
- L’échangeur pour transférer les calories de l’huile du moteur vers l’eau de mer et participer ainsi au réchauffement des océans
- Le coude mixeur qui mélange l’eau de mer aux gaz d’échappement pour réduire le bruit et refroidir les gaz d’échappement qui circule dans le tuyau caoutchouc d’évacuation.
Bien documenté sur le moteur, il a fait calculer la taille de l’échangeur et a reçu une belle pièce, bien construite. Il ne restait plus qu’à faire fabriquer le support pour l’installer sur le moteur et les tuyauteries adéquates pour la circulation de l’huile. Un sacré casse-tête que connaisse tout ceux qui pratiquent la plomberie : trouver les bons raccords. Mais, il a fini par le résoudre.
Après le choix du diamètre de l’échappement, le coude mixeur a été acheté puis notre navigateur/constructeur a fait fabriquer la pièce d’adaptation au collecteur d’échappement.
La pompe à eau s’est avérée être un sujet un peu plus compliqué : trouver le bon modèle, trouver le bon débit, concevoir et faire fabriquer un support de pompe. Pour les deux premiers sujets, ça a été long et incertain jusqu’au test du moteur. Pour le support, le premier essai n’a pas été concluant : le support était trop fragile, sensible aux vibrations et pas pratique pour le réglage de tension de la courroie.
Mais revenons un court instant sur la notion de risque calculé selon Strana: il s’agit d’avoir dans la tête le plan B au moment de prendre la décision d’aller sur un plan A. Pour la pompe à eau moteur, Le plan A, c’était le support de pompe personnalisé. Le temps était venu d’appliquer le plan B : rechercher les pièces détachées de l’ancêtre du moteur qui avait été adapté pour l’utilisation marine. A l’époque de la construction de Strana, toutes les pièces détachées étaient disponibles chez le fournisseur de ce moteur, dont les pièces nécessaires à l’installation de la pompe à eau sur le moteur. Commande faite, tout a été installé et avait belle allure.
L’essai du moteur au chantier fut concluant mais les tests avaient porté principalement sur la partie incertaine : l’efficacité du refroidissement et la mesure des températures de fonctionnement. Sur ce plan, c’était parfait. Mais après une saison de navigation, une légère fuite est apparue à la pompe à eau vers l’arbre en rotation. Surprenant pour une pompe neuve. La révision de la pompe fut ajoutée à la liste des activités d’intersaison.
Equipé de tous les joints nécessaires pour endiguer la fuite, notre navigateur/constructeur a attaqué le démontage de la pompe au début de la nouvelle saison au port d’hivernage, Ouistreham. Rebondissement dans l’affaire de la pompe : le problème était plus grave qu’une simple fuite ; un des roulements de l’arbre était complètement bloqué. Dans toutes les pièces détachées commandées pour la pompe à eau moteur, je veux les roulements à bille. Mauvaise pioche, les roulements n’étaient pas dans le stock des pièces de rechange. Recherche, commande, livraison et quelques jours de délai. Les roulements sont à nouveau opérationnels. Le remontage de la pompe peut commencer mais s’arrête très vite. Une des pièces en laiton a perdu une partie de son filetage et il est devenu impossible de la remettre en place. Recherche, commande, livraison et quelques jours de délai.
Mais pourquoi ces roulements ont-ils souffert ? La pompe est dimensionnée pour un moteur à l’origine plus puissant que celui installé sur Strana. Donc, elle devrait être plus résistante. En attendant la livraison des pièces manquantes, un remontage partiel de la pompe a permis de trouver la raison.
Trop confiant d’avoir équipé le moteur avec des pièces standards, notre navigateur/constructeur n’avait pas détecté un désalignement des poulies d’entraînement de la pompe à eau : 3 mm, ce qui est conséquent et pourrait être la raison du dysfonctionnement. Le nez du moteur Deutz 2011, se serait-il allongé de 3 mm par rapport à celui du moteur Deutz 1011, son ancêtre ? Solution au problème: ajouter une cale intermédiaire sur la poulie en sortie de vilebrequin pour l’aligner avec celle de la pompe à eau. Recherche, fabrication, livraison et quelques jours de délai. La mer s’éloigne encore un peu …
Le puzzle est rassemblé sur la table. La pompe est remontée, la cale d’alignement installée. Essai du moteur : les chutes du Niagara. L’eau coule à flot à la pompe à eau mais ne passe pas intégralement dans les endroits prévus. Elle s’échappe en partie le long de l’axe d’entraînement de la poulie. Le navigateur/constructeur est KO. Si l’axe de d’entraînement a souffert lors du désalignement, la réparation va prendre quelques semaines car c’est une des rares pièces qui n’est plus disponible. La saison de navigation s’éloigne avec la marée basse.
A nouveau, la pompe est démontée pour tenter de déterminer la cause du problème. L’axe est un peu marqué mais pas aux endroits en contact avec les joints. Il n’a pas l’air tordu. Serait-ce une erreur de montage d’un joint ? Après recherche, la réponse est oui. Le baromètre du moral remonte un peu mais n’atteindra les hautes pressions que lorsque le moteur aura démarré. Tour de clé, ronronnement ; la cale moteur est sèche. V pour victoire.
La pompe était quasiment la dernière opération de maintenance avant le départ. Cette opération nous a coûté une semaine et l’impossibilité d’aller naviguer pendant le séjour à Ouistreham. C’était un peu difficile d’être au port et de ne pas pouvoir sortir pour profiter de belles conditions de navigation. C’est un épisode qui a mis à rude épreuve les nerfs du navigateur/constructeur qui a eu un grand coup de pompe.
Alors, ce risque calculé ? On le regrette ? Pas vraiment, c’est certain que les incidents de ce type peuvent être plus complexe à gérer mais c’est à mettre en balance avec la connaissance approfondie du moteur et de ses composants externes. Une seule chose qu’il regrette : ne pas avoir acheté une pompe de remplacement au moment de l’achat de la pompe à eau. C’était il y a cinq ans. Aujourd’hui, les pièces détachées se trouvent mais la pompe complète n’est plus disponible. Cher navigateur/constructeur, tu nous feras vingt pompes pour avoir oublié d’en acheter une complète de rechange à l’époque …