La verrée est un mot du vocabulaire suisse, pays que nous apprécions beaucoup, qui représente à la fois un moment de convivialité et de plaisir. Au fur et à mesure, les conversations vont bon train, les esprits s’échauffent, les sourires et les rires fusent. Malheureusement, dans l’assemblée, il y a toujours ceux qui voient le verre à moitié vide et ceux qui le voient à moitié plein.

Commençons par les amateurs de vide dont je fais partie. L’arrivée à Miquelon ne s’est pas faite sans douleur. Tout a commencé par un retard conséquent à Genève dû à une panne de notre moyen de transport qui a été remplacé par un autre, suivi d’un sprint à Roissy pour attraper notre vol pour Montréal. Comme dit le spécialiste des fables, rien ne sert de courir, il faut partir à temps. Nous avons couru, mais nous ne sommes pas partis vers Montréal à temps, trois heures de retard. Raison invoquée : une nouvelle panne qui a nécessité un avion de remplacement.

Que disent les amateurs de plein ? Pour ceux qui ne l’auraient pas soupçonné, c’est ma moitié qui voit toujours le verre à moitié plein. Nous sommes arrivés à Montréal, nos bagages sont avec nous, le vol pour Saint-Pierre-et-Miquelon ne sera pas annulé demain. Tout va bien. C’est la moitié vide qui vous parle : le vol pour Saint-Pierre a bien eu lieu, mais un bagage a décidé de rester à Montréal.

À l’arrivée à Saint-Pierre, nous avons le plaisir de retrouver Nathalie et Rodolphe, nos saint-pierrais préférés, qui nous accueillent à la mode de chez eux, c’est-à-dire avec le cœur gros comme ça. Là, pas de verre à moitié vide. Avec eux, c’est toujours plein. Nathalie nous dépose au ferry à destination de Miquelon le lendemain.

Destination Miquelon

La moitié vide : ouf, nous n’avons pas coulé avec le ferry. Non, je plaisante. J’étais plutôt impatient de voir dans quel état est Strana après l’hiver. La moitié pleine, elle, a trouvé que Strana avait très bien supporté l’hiver à Miquelon. La moitié vide a trouvé que la liste des tâches de réparation était déjà assez longue sans en rajouter.

Tout à l’air en ordre, mais le diable se cache dans les détails…

Il a fallu réparer la coque qui avait souffert de la corrosion à l’emplacement de quelques chandelles. La raison ? Du bois traité au sulfate de cuivre utilisé comme patin. Il était prévu une modification des pattes de support moteur arrière, puis un alignement du moteur. Au démontage des pattes réalisé par le chantier, nous constatons qu’un silentbloc est cisaillé net. Voilà d’où venaient les vibrations de l’année dernière. Nous commandons deux silentblocs, mais il faudra attendre un peu. Le délai d’obtention des pièces est de deux semaines.

Piqûres de corrosion découvertes au moment du carénage.

Pour supporter ça, il faut que la moitié pleine s’active pour faire avaler à la moitié vide le verre. Heureusement, nous passons les deux premières semaines à l’Auberge de l’Île, chez Patricia, où nous passons de bons moments et qui nous régale des produits de la mer : pétoncles, homards et moules. Au petit-déjeuner, yaourts au lait de chèvre de la ferme de sa fille que nous irons visiter un jour de pause. Nous ferons connaissance avec les chevreaux de l’année, le chat de l’exploitation qui adore se faire lécher le dos par les chèvres qui ont la langue agile. Il avait deux mois lorsqu’ils ont démarré l’exploitation et il est devenu la mascotte de l’étable. Il dort souvent sur une des locataires.

Mais revenons un peu au vide… Les silentblocs sont arrivés dans les délais (c’est la moitié pleine qui se réjouit). Le jour du remplacement arrive. Le chantier Nautech, dont le cœur de métier est la soudure, nous a fabriqué un support pour la nouvelle pompe à eau ainsi qu’une potence de levage du moteur en aluminium démontable, qui peut se ranger dans les coffres. Une belle pièce qui s’avère très utile pour lever le moteur. Tout est en place, il faut maintenant démonter les silentblocs avant pour lever et remplacer les deux arrières. Au démontage, l’effort à produire pour desserrer l’écrou est énorme. On suspecte un serrage bien au-delà des tolérances lors de la dernière intervention faite par un chantier norvégien. Crac une fois, crac deux fois, les deux silentblocs avant sont cisaillés nets. Je tombe dans la moitié vide… C’est reparti pour deux semaines de délai. Une chance que les supports élastiques soient en stock au Canada, dit la moitié pleine. La livraison arrive. Remplacement, alignement du moteur, tout semble aller pour le mieux. Peut-être un peu de plein dans le vide ?

Le jour de la mise à l’eau arrive. Le guindeau en profite pour nous lâcher lors d’un essai juste avant la plongée de Strana dans les eaux froides. C’est une panne fréquente (problème de relais), mais elle prend une autre dimension quand les délais sont importants. Nous sommes arrivés à Miquelon le 18 mai. Il était prévu deux semaines de maintenance et de préparation avant de partir pour Saint-Pierre. Nous sommes le 6 juillet et, pour l’instant, toujours à Miquelon, mais, grande victoire, dirait la moitié pleine rejointe par la moitié vide, nous sommes sur le point de partir vers Saint-Pierre dans quelques jours, le temps de vérifier que le moteur va bien.

S’il fallait décrire les états d’âme de celui qui regarde le verre à moitié vide, ils sont pour le moins variables. D’un côté, ce séjour auprès des habitants de Miquelon avec la participation à quelques évènements locaux, la beauté rude de l’île, les rencontres au gré des promenades, la convivialité qui règne, le vent de liberté qui souffle sur cette île et qui fait que ses habitants restent malgré les difficultés du climat et de l’accessibilité, tout cela contribue à remplir le verre et à le faire déborder. De l’autre, les imprévus, le temps passé à résoudre les problèmes, les incertitudes sur la pérennité des réparations viennent le vider.

C’est la vie de marin ! Boire pour oublier. Tiens, mon verre est encore vide. Allons le remplir à Miquelon.