L’entrée dans le port s’est faite par une bonne brise 16 à 20 nœuds, plus élevée que celle annoncée aux prévisions météo. En général, quand nous pouvons, nous évitons d’entrer dans des trous de souris avec notre éléphant dans ces conditions. Mais il faut savoir s’adapter. En empruntant, le chenal, je me convaincs que ça va bien se passer, que le port est vide, qu’il y aura de la place pour manœuvrer si c’est nécessaire. Avec ce mantra dans la tête, tous les sens sont en éveils. Rien ne sert de me parler d’autre chose que de l’entrée dans ce port, je n’entends rien.
Chance, le port est quasi-vide. Il est partagé en deux parties. L’une est tournée vers la mer et protégée par des brises lames formés de boulders (rochers sphériques) qui sont submergés à marée haute. L’autre est une darse entourée de quai qui semble plus abritée.
Le quai à l’extérieur a quelques places disponibles, mais je me dirige d’abord vers l’entrée de la darse. L’étrave n’a pas encore passé l’entrée qu’un doute m’assaille et qu’il gagne l’assaut. Nous n’entrerons pas là-dedans. Une raison objective : la darse n’est pas très large et Strana ne manœuvre pas très bien dans les espaces réduits. Une raison subjective : je ne le sens pas avec le vent de travers, marche arrière. Ce sera la place au quai à l’extérieur. De toute manière, il n’y a pas de coup de vent attendu dans les prochains jours donc la mer ne devrait pas nous secouer en passant par-dessus les brises lames qui ont l’air un peu faible en comparaison de la force de l’attaquant.
Sur la carte marine, nous sommes dans une profondeur de 3 m. La darse, elle, varie entre 2 m et 2,5 m. Vu les faibles profondeurs qui entourent le chenal d’accès, ce port subit certainement l’ensablement. Au quai, la sonde nous indique 2 m au lieu des 3 m attendus.
Le port est très calme. Il s’anime probablement le week-end et à la haute saison pour la plaisance qui est en juillet. Nous sommes bien installés, à proximité des sanitaires. Pas de moyen de paiement en ligne, il faudra attendre la visite du garde-port qui passe à son bureau en fin de journée pour régler nos nuitées. Ce sera l’occasion de discuter avec lui. C’est assez rare au Danemark et dans tous les ports de Scandinavie. Il y a rarement des permanences dans un bureau de port. Il y a un café restaurant, mais les commerces, enfin plutôt le commerce n’est pas à côté. Le vélo s’avère un auxiliaire bien pratique. Nous les sortons des coffres pour aller faire un petit tour sur l’île.
À notre retour, le paysage a changé. Les boulders ont émergé. Nous sommes à marée basse et nous constatons alors la faible profondeur de l’avant-port. En face du quai où nous sommes, les bateaux, assez petit d’ailleurs, semblent posés dans la vase. À l’œil, nous n’avons pas beaucoup d’eau sous la coque : nous voyons très bien le fond dans l’eau cristalline. J’allume les instruments pour connaître la profondeur à la verticale du sondeur : 1,3 m. Il nous reste 20 cm sous la quille.
L’explication de cette différence majeure entre la profondeur indiquée sur les cartes (3 m) et celle constatée à marée basse (1,3 m) ne vient pas que de l’ensablement du port. Un anticyclone puissant (1026 millibars) est installé sur notre zone. Quelqu’un appui fort de la paume de la main sur l’air qui nous surplombe, et par conséquent, sur la masse d’eau qui nous entoure. L’occasion de connaître « la seiche hydrodynamique » : l’oscillation de l’eau dans un bassin hydrique, de forme et de taille quelconques, provoquée par de petites secousses telluriques, par le vent ou par des variations de la pression atmosphérique. La mer Baltique, où l’amplitude de marée est faible, est très sensible à ce phénomène qui a lieu sous nos yeux. Il faut surveiller ses amarres sur les quais non flottants pour ne pas rester pendu. Nous passerons deux nuits bien agréables dans ce port de l’île de Fejø.