Nous enfourchons nos vélos à l’aube … du déjeuner. Et oui, on a un peu de mal à partir avant midi. Le temps nous file entre les oreillers et les doigts. Nous avons pris ce temps pour discuter avec nos voisins de ponton, un couple assez âgé qui ont une vie de navigation derrière eux. Leur bateau est un plan Van de Stadt d’une série nommée Pion. Le nom de leur bateau : Champion. L’âge du capitaine : inconnu, celui du bateau : 45 ans mais il est comme neuf. Toujours agréable de converser de tout et de rien, mais surtout de bateaux.
Nous finissons par enfourcher nos montures. En Belgique, il y avait Knokke-le-Zoute, Aux Pays-Bas, il y a Zoutelande. Est-ce qu’un zoute nommé Knokke s’est embarqué de son pays, Zoutelande, pour naviguer ou s’échouer sur une plage belge ? Il est peut-être devenu célèbre. Dialogue au nième siècle :
- Tu habites où ?
- Tu sais là où Knokke le zoute a débarqué. Je viens d’y construire une maison.
- Mais c’est paumé !
- Je sais, le facteur ne trouve même pas la maison. Je lui ai dit que ça s’appelait Knokke-le-Zoute pour qu’il s’y retrouve. Ça l’a bien fait rire mais maintenant j’ai mon courrier.
Retour à notre époque. Nous nous dirigeons vers Zoutelande où tout a commencé … Bien sûr, c’est totalement faux. Zoute, en néerlandais, signifie salé, et le sel, ça ne manque pas dans la Mer du Nord.
En chemin vers Veere situé à 7 km d’Oranjplaat, nous découvrons une fleur géante assez odorante mais une odeur désagréable. Notre curiosité nous fait chercher son nom : la Berce du Caucase, Hogweed en anglais. C’est une plante dont la sève est toxique. Activée par la lumière du soleil, de la sève sur les yeux ou la peau vous brûle. Il ne s’agit pas de verser dans le fossé avec nos vélos.
Notre promenade nous mène à travers des villages dont le nom est toujours difficile à lire et à retenir : Zanddijk, Gapinge, Serooskerke, Grijpskerke, Meliskerke. Dijk (une digue), kerke (une église), chercher l’intrus. Gapinge signifie : lieu où le ruisseau s’élargit. On voit ici le cousinage en néerlandais et anglais (gap, gaping). C’est quinze kilomètres d’une superbe piste cyclable qui nous mène à Zoutelande, notre destination. Habitué à la platitude, nous sommes surpris d’apercevoir des collines en arrivant. Il s’agit d’énormes dunes.
Zoutelande est une station balnéaire courue ; la plus au sud des Pays-Bas, l’une des rares à avoir une plage orientée au sud, elle a attiré de nombreux peintres avec sa lumière. Curieusement, la ville ne voit pas la mer. Elle en est séparée par une immense digue. Avant de monter à son sommet, nous faisons une halte restauration pour goûter aux pannenkoeken, des crêpes épaisses cuitent avec leurs garnitures ; un peu comme des pizzas mais sans sauce tomate. Encore un petit cousinage linguistique : ça ne vous rappelle pas pancake en anglais? pannkaka en suédois? ou Pfannkuchen en allemand? Pan, c’est la poêle ; koek, c’est la galette, le biscuit, le gâteau. Il y a même un mot français cousin : couque, usité en Belgique pour désigner des viennoiseries, c’est aussi une spécialité à Abbeville. Ça reste dans les Flandres malgré tout. Voilà pour les amateurs de Scrabble.
Un petit détour par la boulangerie pour se fournir en bolus de Zélande, une brioche sucrée et parfumée selon la créativité du boulanger. Pour apercevoir la mer en les dégustant, nous grimpons sur la digue. Nous voyons alors l’embouchure de l’Escaut par laquelle nous sommes arrivés aux Pays-Bas. La bouche pleine, pas l’embouchure, nous observons les baigneurs, courageux, et le trafic maritime, dense et à un jet de pierre (pour un grand costaud) de la plage.
Il est temps de continuer notre tour de l’ancienne île de Walcheren. Nous remontons par la côte, enfin, sous la digue, par une piste cyclable à travers dunes, polders et forêts. Ici, comme partout ailleurs sur les plages de la Mer du Nord, le sable des plages est emporté par les courants. Souvent des pieux sont plantés perpendiculairement à la plage pour limiter l’érosion et, parfois, pour créer et protéger des polders, des énormes digues sont construites pour résister aux assauts de la mer. Nous en foulons une autour du phare de Noorderhoofd. Des milliers de tonnes de roche couvertes de quelque chose qui ressemble à du bitume parfois frippé comme s’il avait eu trop chaud. C’est une étendue grise monumentale. C’est Westkappelse Zeedijk. Elle coure jusqu’à Domburg.
Nous en sommes à 40 km de flânerie à vélo et nous continuons en direction de Breezand en traversant la réserve naturelle de Oranjezon. Le tour de Walcheren est presque terminé. Nous approchons de Veere après un crochet par le barrage d’Oosterscheldering. Un petit stop au soleil couchant à Veere pour admirer les couleurs avant de regagner Oranjeplaat.
75 km à travers le Walcheren qui n’était pas une île avant le IIIème siècle, qui est devenu une île après la submersion de la Zélande au IIIème et IVème siècle, qui est progressivement devenu une presqu’île après les travaux titanesques des hommes depuis le XVème siècle. La lutte contre la nature ne date pas d’aujourd’hui, avec des victoires mais aussi des défaites, et elle continue.