Quoi de mieux, pour chauffer l’atmosphère de la grotte en cours de construction dans le jardin depuis 2015, que d’adopter un dragon ? En ce siècle des innovations technologiques, il existe d’autres solutions plus faciles à utiliser mais nous n’avons pas su résister à son regard. Et puis, si vous le soignez bien, il est fidèle.
Le choix du dragon
Contrairement aux chats et aux chiens, on ne vous donne pas facilement un dragon. Il faut malheureusement l’acheter à un éleveur ou à son intermédiaire. Deux éleveurs se partagent le marché du dragon, Dickinson et Refleks. Les dragons sont élevés dans les zones froides : Dickinson est au Canada, Refleks au Danemark.
Au moment de choisir notre bestiole, plusieurs critères sont entrés en ligne de compte :
- La taille : notre grotte étant petite, il ne le fallait pas trop encombrant. De plus, petit dragon, petit appétit. Les amateurs de chiens comprendront (sauf exception, les chats sont à peu près tous de la même taille).
- L’efficacité de la combustion : un petit dragon qui souffle fort chauffe plus efficacement et plus proprement qu’un gros dragon qui souffle doucement.
- Et enfin, très subjectif, l’aspect esthétique.
Nous avons choisi : ce sera un dragon de la race Newport de chez Dickinson. Son intermédiaire se trouve au Pays-Bas, donc pas de problème pour le faire venir en France. Il aura déjà passé ses contrôles vétérinaires.
Ah, ce regard ! Un détail concernant les petits dragons disponibles chez les éleveurs. Ils ont tous les deux des petits handicaps : l’un est aveugle, l’autre est cyclope. Tous les deux sont sourds, vous pouvez leur parler ou les injurier : ils ne réagissent pas. Ils sont quasiment muets : ils ronflent juste un peu lorsqu’ils sont réveillés, contrairement à nous, où nous ronflons endormis. Nous n’avons rien contre les handicaps, mais le regard de cyclope du Newport nous a fait de l’œil.
Un nom pour le dragon
Jusqu’à présent, je n’avais pas éprouvé le besoin de nommer la bestiole. Mais en écrivant ces lignes, je me suis dit que ça serait pratique pour le nommer et faciliter le contact avec lui. Pour améliorer les relations avec les personnes ou les objets, rient de tel qu’un petit nom.
Beaucoup de personnes ont reçu comme prénom celui d’une actrice ou d’un acteur célèbre. Pourquoi ne pas faire la même chose pour un dragon ? Vous seriez étonnés du nombre de dragons connus à travers le cinéma et les séries. Moi-même, je n’aurais pas cru trouver onze noms en tapant « dragons connus ». Mais, comme toute information reçue du web, il faut la soumettre à un regard critique. Et là, j’ai constaté un problème générationnel : il manque Elliot dans la liste, petit nom du dragon du film « Peter et Elliot le dragon » sorti en 1977. Trop vieux ? Aujourd’hui, nous te baptisons donc Elliot.
L’arrivée d’Elliot
Pour ceux qui seraient intéressés d’acquérir un dragon, il faut savoir qu’il arrive en état d’hibernation. Il est inerte jusqu’au moment où vous décidez de le réveiller. C’est donc dans cet état qu’Elliot est arrivé fin 2017. Ce qui nous a arrangé car nous avions encore besoin de temps pour aménager la grotte et son nid (le dragon est ovipare). Ce qui fût terminé en 2019. Le plus compliqué a été de prévoir son circuit d’alimentation car un dragon en éveil, ça téte du gasoil, pas beaucoup à la fois, mais en permanence.
Premier éveil
Nous sommes arrivés en février 2020. La grotte est presque terminée. Il est temps de faire connaissance avec Elliot. Pour tirer un dragon de son sommeil, la procédure de réveil prend un certain temps (tiens ! ça me rappelle quelqu’un). Etant novice, j’avais détaillé les étapes recommandées par l’éleveur sur un papier que j’ai scrupuleusement suivi au moment d’agir. En gros, une petit giclette pour chauffer la bête. Une fois bien chaude, on peut l’alimenter régulièrement. Bien surveiller la couleur de la flamme : trop orange, la mettre au régime ou lui donner de l’air frais.
J’étais un peu tendu pour ce premier contact. Les flammes sont dangereuses. La grotte est en cours d’achèvement et un incendie serait mal venu à ce stade. Progressivement, le seul et unique œil d’Elliot s’est animé. La flamme attendue y vacillait. Lorsqu’elle s’est mise à faiblir, l’heure était venue d’alimenter Elliot régulièrement, à petit dose.
Elliot, avait-il mal à la gorge ? Etait-il en colère d’avoir hiberner aussi longtemps ? Les flammes sont devenues énormes, oranges, avec de longues volutes noires chargées de suie. Mise à la diète immédiate pour lui. Je lui coupe les vivres mais le mal était fait : il avait stocké suffisamment d’aliments pour cracher sa colère. Elliot est devenu Caraxes, le dragon de la série « House of the Dragon », niveau de dangerosité 13/10. Il est rouge de colère, les températures des parois de la grotte montent en flèche. Il a le regard noir (à cause de la suie). Une seule solution, attendre qu’il ait fini de brûler son garde-manger. Il est temps pour moi d’expérimenter les sorties de secours de la grotte.
Petit à petit, Elliot s’essouffle. Son œil s’éteint. La température redescend. La grotte est noire de suie à l’extérieur. Elliott retourne à son état d’hibernation. Je respire.
Deuxième éveil
Le dicton « Battre le fer tant qu’il est chaud » prend du sens, même si j’ai attendu qu’il soit froid avant de procéder rapidement à un examen approfondi de sa gorge. Il avait quelque chose de coincé qui l’empêchait de contrôler correctement sa flamme. Une petite intervention a été nécessaire. Si j’étais novice dans la procédure de réveil, je le suis également dans le domaine de la laryngologie des dragons. Mais, je pense avoir réglé le problème.
C’est moyennement confiant que j’entame la deuxième procédure de réveil. Elliot ouvre à nouveau son œil (je l’avais un peu nettoyé auparavant). Les flammes y dansent, doucement. Lorsque la giclette de départ est consommée, je l’alimente normalement, mais en petite quantité. Elliott ne se met plus en colère mais ses flammes sont oranges, signe d’une alimentation trop riche. Je lui donne plus d’air mais ça ne l’aide pas. Au contraire, les flammes grandissent et restent orange. La suie se dépose à l’extérieur de la grotte. Mais, j’arrive à garder le contrôle. La bête est devenue moins sauvage. Au final, ce n’est pas brillant, et j’en veux un peu à Elliot et à son éleveur (ici, série de jurons genre capitaine Haddock). Heureusement, Elliot est sourd et l’éleveur est loin.
Je coupe les vivres à Elliot pour le renvoyer en hibernation. Pour l’instant, ce dragon nous cause plutôt des problèmes. Comme la fin de l’aménagement de la grotte amène également son lot de problèmes et de tâches à traiter, Elliot passe en priorité basse. Il devra hiberner jusqu’à notre voyage en 2022 aux Pays-Bas où, d’une part, nous attaquerons les régions « fraîches », et où, d’autre part, habite l’intermédiaire de Dickinson. Nous ferons une autre tentative à ce moment là. Pour l’instant, nous avons d’autres chats à fouetter (les chiens ne sont pas concernés. Cette fois-ci). Pour les amis des bêtes, et les curieux en cherchant bien, vous trouverez qu’il ne s’agit pas là de faire du mal aux chats, mais de quelque chose de plus grivois au temps du XVIIème siècle.
2022, la renaissance
Pour être franc, je n’étais pas pressé de reprendre les relations avec Elliot, alias Caraxes dans ses moments de colère. Mais en 2022, la grotte (elle flotte) va se trouver dans la contrée où certains dragons sont élevés par Refleks. Ça signifie qu’il s’agit d’une zone froide et, comme nous y serons à l’automne, un peu de chaleur venant d’Elliot ne sera pas de refus. Ça motive pour reprendre la conversation.
Un premier arrêt prolongé aux Pays-Bas m’a permis de contacter l’intermédiaire qui connaît bien les races de dragon produites par Dickinson. Une petite séance de laryngologie sera semble-t-il encore nécessaire ainsi qu’un peu de chirurgie gastrique ; encore une nouvelle découverte pour moi. Apparemment, Elliot aurait besoin d’un anneau à l’estomac pour éviter la boulimie qui conduit inévitablement à une surchauffe. Nous sommes en juillet et il fait encore trop chaud pour avoir une discussion avec Elliott. Il continuera à hiberner.
C’est maintenant le début de l’automne. La fraîcheur s’installe à Gjøl, au Danemark, surtout le matin et à la tombée de la nuit. J’exécute les actes chirurgicaux nécessaires.
Le véto est satisfait du résultat de l’intervention. Il est temps de procéder maintenant au réveil en douceur d’Elliot. C’est avec appréhension que j’observe la lueur dans son œil. Je l’alimente doucement et la flamme se maintient. Elliot semble satisfait de la dernière intervention mais un dragon, ça a du caractère. Ça reste un animal sauvage et le dompteur doit être en permanence attentif à ses réactions. Il faut constamment garder un œil sur lui. Il peut être un peu lunatique selon le sens et la force du vent.
Elliot va s’avérer, à partir de maintenant, de bonne compagnie. Il réchauffe l’atmosphère de la grotte et son œil pétillant attire le regard, genre méditation. Une petite causette le matin (il n’y a que nous qui parlons, lui, il est muet), une autre le soir, et tout le monde est content : la grotte, ses habitants et Elliot. J’ai finalement apprivoisé le dragon.